Les Réseaux Communautaires

Les réseaux communautaires sont des réseaux informatiques sans fil destinés à aider des communautés (généralement géographiques) en soutenant les activités menées dans ces communautés. Ce sont des réseaux qui sont généralement pensés, déployés, gérés, et utilisés par/avec les communautés. Ces réseaux peuvent être connectés à l’Internet ou offrir l’accès à des contenus locaux. Ces réseaux pour la plupart servent à desservir les zones d’intérêts dans la communauté. Les services offerts vont de l’accès aux contenus locaux généralement adaptés aux besoins de la communauté à l’accès à Internet. Certains réseaux offrent des services propres à la communauté afin de résoudre certains problèmes locaux.

 Technologies

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La technologie utilisée dans la plupart des réseaux communautaires est la technologie Wi-Fi dont les coûts sont réellement abordables et les performances ne cessent d’augmenter. Le réseau est généralement composé d’un ensemble de routeurs maillés qui permettent la communication multi-saut d’un point du réseau à un autre point, en passant par les points intermédiaires. Cette capacité de maillage, couplée à la possibilité d’établir les longs liens entre les nœuds du réseau, offre la possibilité de connecter les groupements et points d’intérêts épars dans une localité comme c’est généralement le cas dans les zones rurales. Aujourd’hui, certains réseaux communautaires basés sur le Wi-Fi comptent des milliers d’utilisateurs et sont raccordés à la fibre optique, offrant ainsi une qualité de service appréciable.

Mais la technologie Wi-Fi n’est pas seule qui peut être utilisée dans un réseau communautaire. Aujourd’hui nous observons aussi une émergence de réseaux communautaires mobiles basés sur de nouvelles stations de base GSM (BTS) à faible puissance, dont les coûts sont relativement très bas. Ces réseaux sont déployés dans des communautés dans certains pays comme le Brésil, l’Indonésie, et même en Afrique en RDC. Ces nouvelles stations de base bon marché sont utilisées par certains opérateurs commerciaux nationaux pour étendre leur couverture, ainsi que par des opérateurs commerciaux spécialisés de gros.

Plus récemment, de nouvelles initiatives de réseaux communautaires basées sur le TV White Space (TVWS ou encore Super Wi-Fi) ont vu le jour. Elles utilisent le spectre radio des basses fréquences, traditionnellement alloué à la télévision, et permettent une allocation dynamique. Elle est particulièrement exploitée dans les zones rurales où cette bande de fréquences n’est pas utilisée.

Initiatives

De nombreux réseaux communautaires existent dans le monde et les initiatives se font de plus en plus nombreuses.

C’est le plus grand réseau communautaire au monde et dont la majorité des nœuds se trouve en Catalogne, en Espagne. Il est porté par la fondation Guifi.net et opère depuis 2009. Il ne cesse de s’agrandir et se réclame ouvert et neutre. C’est un réseau principalement sans-fil comprenant plus de 68.560 nœuds, avec plus de 37.695 nœuds opérationnels, et environ 72.569 km de liens sans fil en 202235. C’est un réseau auto-organisé et opéré par les utilisateurs sur la base de la licence Wireless Commons qui décrit les principes, les termes et les conditions de nombreux réseaux communautaires sans fil libres et ouverts.

Les nœuds du réseau sont créés par des individus, des entreprises et des administrations qui souhaitent se connecter librement à un véritable réseau de télécommunications ouvert et étendre le réseau. Cette licence donne le droit d’utiliser le réseau à n’importe quelle fin, sauf si vous affectez le fonctionnement du réseau ou la liberté des autres utilisateurs, le droit de connaître et d’apprendre tout détail du réseau et de ses composants, la liberté de rejoindre ou d’étendre le réseau selon les mêmes conditions.

En Afrique, plusieurs initiatives ont vu le jour. Une initiative de mapping des réseaux communautaires en 2017 avait permis d’identifier plus d’une vingtaine parmi lesquelles Zenzeleni, BOSCO Uganda, PamojaNet etc …

Le réseau communautaire Zenzeleni a commencé son développement depuis 2012 à Mankosi, une communauté rurale d’Eastern Cape en Afrique du Sud. En 2014, il est enregistré officiellement comme coopérative. Deux ans plus tard, il est internationalement reconnu lors du premier sommet africain sur les réseaux communautaires en Afrique37 organisé par l’Internet Society.

Aujourd’hui, Zenzeleni est un fournisseur de services Internet sans fil communautaire basé dans les zones rurales d’Afrique du Sud. Il offre une qualité de service d’accès à l’Internet comparable à celle des centres urbains les plus développés du pays et à des coûts abordables. Son modèle vise à réduire considérablement les coûts des télécommunications, à conserver les dépenses au sein des communautés comme une forme d’entrepreneuriat social, et à soutenir le développement d’un écosystème numérique rural afin de réduire la fracture numérique.

Le réseau de Zenzeleni est basé sur la technologie Wi-Fi et Pendant la COVID-19, la capacité du backhaul a augmenté de 100Mbps, avec une utilisation mensuelle qui est passée d’une moyenne de 3 TB à 19 TB par mois. En 2021, on dénombrait 24 000 appareils uniques connectés au réseau pour une utilisation mensuelle de 25 To.

Battery Operated System for Community Outreach (BOSCO) Uganda39 est une organisation à but non lucratif sous la tutelle de l’archidiocèse catholique de Gulu. Elle a été fondée en 2007 à la suite de l’insurrection qu’a connue le nord de l’Ouganda entraînant le déplacement de plus d’un million de personnes à l’intérieur du pays et l’un des massacres les plus horribles en 2004. Elle s’est donnée pour mission de fournir des solutions innovantes en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) en utilisant une approche collaborative et basée sur le web afin de favoriser le développement socio-économique et la consolidation de la paix dans les communautés rurales du nord de l’Ouganda.

Le réseau communautaire de BOSCO Uganda basé sur la technologie Wi-Fi sert donc à résoudre le problème de la fracture politique et géographique des déplacés internes.

Actuellement, le réseau, qui s’étend sur plus de 400 km, relie 56 centres TIC, alimentés par 5 sites d’énergie solaire. Les membres de la communauté ont accès à des ordinateurs ainsi qu’à des programmes d’alphabétisation numérique, de formation à l’entrepreneuriat et de mentorat. Au total plus de 100 000 personnes ont bénéficié des formations offertes par l’organisation. De nombres autres réseaux ont vu le jour, comme Kondoa community network en Tanzanie, Wireless Ghana, ou encore Mesh Bukavu en RDC.

Synthèse de quelques réseaux communautaires

Tableau resau communautaire

Faible présence en Afrique Francophone

Une initiative de mapping des réseaux communautaires en Afrique en 2017 a permis d’établir la carte à la Figure 3. Bien que la carte ne soit pas très récente et exhaustive, les initiatives en Afrique Francophone sont encore très peu nombreuses.

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Le développement du réseau communautaire Pamoja Net a commencé en 2016 par l’organisation la Différence. Ceci à la suite de l’invitation du Mwami (ou Roi) d’Idjwi, une île dans le lac Kivu (République démocratique du Congo) avec une population d’environ 300 000 personnes dont 80% vit avec moins de 1,25 USD par jour. La pérennité de Pamoja Net repose sur les entreprises qui paient un accès dédié pendant la journée de travail. Ces clients permettent au réseau communautaire de fournir un accès Wi-Fi gratuit à la communauté à partir de 16h00.

Plus de 3 900 personnes ont déjà bénéficié d’un accès gratuit à Pamoja Net. Et d’après les recherches menées par la Différence, 98% des utilisateurs ont reconnu que Pamoja Net avait contribué à un changement positif dans leur vie, en aidant certains à se connecter avec leur famille et leurs amis, et en aidant d’autres à mener des recherches éducatives, à postuler un emploi, à vérifier les bulletins météorologiques avant de pêcher sur le lac Kivu ou encore à faire des économies.

Des Télécentres aux Réseaux Communautaires au Cameroun

Avec l’aide la Coopération Allemande au travers de la composante TIC du Programme d’Appui au Développement Communal (PRADEC) porté par la GIZ, les Télécentres Communautaires Polyvalents développés par le Ministère des Postes et Télécommunications sont en train d’être transformés en réseaux communautaires. L’objectif étant de transformer le télécentre en un véritable moteur de développement local par l’accès à l’information. L’accès n’est plus simplement ponctuel au télécentre, mais le télécentre connecte désormais les zones d’intérêt dans la localité tels que les écoles, les centres de santé, les bâtiments administratifs. Dans la phase pilote du projet deux réseaux ont été pensés et déployés avec les communautés locales de Bibémi et de Mayo-Oulo/Mandama dans la région du Nord.

Le succès de la phase pilote a encouragé la GIZ à conduire d’autres études de faisabilité en vue du déploiement de 10 autres réseaux dans les régions du Littoral et du Nord. De plus, un atelier national a été organisé par le Ministère afin de définir la nouvelle vision des télécentres au Cameroun.

Certains réseaux communautaires existent mais sont peu connus sur le plan national et encore moins international. Certains de ces réseaux ont été développés avec l’aide d’AfChix (un réseau de femmes africaines dans le domaine de la technologie) qui permet aux femmes des zones rurales du Sénégal et du Maroc (en plus du Kenya et de la Namibie) de prendre l’initiative de connecter leurs communautés à l’internet pour la première fois.

Des projets de déploiement de réseaux communautaires sont également en cours dans certains pays tels que le Tchad et la Guinée. Au Tchad le chapitre Internet Society est en train de terminer la planification d’un réseau communautaire, le premier du pays. Il sera probablement fonctionnel début 2023. En Guinée, plusieurs zones ont été identifiées parmi lesquelles les communes de Djelibakoro et de Kassa. Les études préliminaires de faisabilité ont déjà été effectuées et le chapitre ISOC est à la recherche de financement. Au Gabon, de potentielles zones pouvant abriter des réseaux communautaires ont été identifiées, notamment les zones accessibles par le backbone national à fibre optique telles que : Booué, Lastourville, Koulamoutou, Mitzic, Oyem, Bitam. 

Potentiel impact des réseaux communautaires

Les réseaux communautaires peuvent produire un réel impact particulièrement dans les zones rurales et ce sur plusieurs plans.

Appui à la stratégie de digitalisation nationale

Plusieurs pays ont défini ou sont en train de définir une stratégie de digitalisation nationale avec au centre le développement des services d’E-administration. Avec un faible taux de pénétration d’Internet, ces services ne pourront pas être accessibles par une majorité de personnes et qui se situeraient principalement dans les zones rurales. Et pourtant ce sont ces dernières qui devraient le plus bénéficier des services en ligne, à cause de l’enclavement géographique et du manque des services de base. Au Cameroun, la localité de Mandama est située à environ 20 Km de la mairie de Mayo-Oulo dont elle dépend. Mais la route est impraticable en saison pluvieuse, et ce trajet peut nécessiter près de deux heures. Aujourd’hui, Mandama est connecté à Mayo-Oulo grâce à un réseau communautaire. Certains services peuvent donc être accédés sans avoir à effectuer un déplacement. Les réseaux communautaires pourraient donc jouer un rôle clé dans la stratégie de digitalisation nationale.

Appui aux politiques d’émergence et développement local

Les politiques d’émergence ou de développement dans de nombreux pays africains reposent sur la modernisation/intensification de certaines activités au rang desquelles l’agriculture, la pêche, l’extraction et la transformation des ressources naturelles… Mais ces activités sont généralement menées dans des zones rurales avec un très faible taux de pénétration Internet. Il y a donc nécessité de connecter ces zones afin de fournir l’information utile pour l’amélioration des activités dans ces différents secteurs. Ceci d’autant plus que ces zones rurales souffrent de plusieurs manquements avec des conséquences dans les secteurs sensibles comme la santé et l’éducation. Les réseaux pourraient aider à combler certains de ces manquements au travers des services en ligne. Dans les localités de Mandama/Mayo-oulo et Bibémi où les réseaux communautaires ont été déployés, une plateforme de contenus locaux (GOON) avec des ressources éducatives permet à des élèves du secondaire de pouvoir étudier même en l’absence d’enseignant. Au plus fort de la crise sanitaire due à la COVID19, le ministère de l’enseignement secondaire au Cameroun avait opté pour les cours en ligne. Grâce au réseau communautaire de Mayo-oulo, les élèves du lycée bilingue de Mayo-Oulo ont pu suivre normalement les cours. Mieux encore, ce lycée a été classé quatrième en termes de participation à ces cours en ligne. Pour le compte de l’année scolaire 2022-2023, le ministère de l’enseignement secondaire a mis un accent sur la digitalisation des contenus. Si les contenus peuvent être facilement développés, leur accès reste problématique pour les nombreux lycées et écoles primaires dans les zones non-connectées.

Facilitation de la production et de la diffusion des données et contenus locaux

Les identités et cultures courent un grand risque de disparition, particulièrement en Afrique subsaharienne. Le simple cas de la disparition progressive des langues locales est un indicateur. La langue n’est pas juste un outil de communication, mais elle renferme une partie de l’identité d’un groupe et représente un patrimoine culturel à préserver. La plupart des connaissances indigènes sont dans ces langues locales. Si ces connaissances ne sont pas digitalisées, elles seront perdues. D’où la nécessité de mettre en place des mécanismes permettant de faciliter cette digitalisation. De plus, l’Intelligence Artificielle (IA) qui se développe et se répand à grande vitesse se nourrit de données. La non prise en compte des données relatives à certaines minorités dans le développement de systèmes basées sur l’IA pourrait produire des systèmes néfastes pour ces minorités. Le concept très récent est connu sous le nom de justice en matière de données. Cet enjeu n’est pas encore clairement visible aux yeux de plusieurs, mais la survie de nombreuses communautés en dépend. Les réseaux communautaires pourraient donc jouer un rôle capital dans la production et la diffusion des données et contenus locaux, en connectant des personnes dans les zones très enclavées numériquement. 

Appui aux organisations et initiatives locales

Plusieurs projets peuvent être soutenus par les réseaux communautaires. Au Cameroun, le projet OurVillage de la GIZ vient répondre à un problème de manque de liquidité saisonnier au sein des villages et vient rebâtir un système de confiance où chaque membre de la communauté se sent valablement impliqué dans la mise en œuvre des actions de développement. Il vise donc à redynamiser l’économie locale à travers la mise en place d’un système d’échange de biens et services basé sur des bons non monétaires. Ce projet a entamé les réflexions sur l’utilisation des réseaux communautaires pour l’échange d’information au sein des trois groupements où le projet intervient. Dans la même lancée, le Programme d’Appui à la Jeunesse Rurale et Urbaine (PAJER-U) qui a pour objectif général de promouvoir l’insertion socio-économique des jeunes Camerounais non scolarisés et déscolarisés par le biais d’une mobilisation sociale et d’un encadrement technique et financier en vue d’en faire le moteur un vivier de richesse dans la commune, pourrait bien être soutenue dans ses activités par des réseaux communautaires. Ces derniers pourraient aider à former les jeunes aux métiers du numérique.

Obstacles à l’expansion des réseaux communautaires

L’expansion des réseaux communautaires fait face à de nombreux obstacles. L’un des tout premiers est le manque d’information. Beaucoup n’ont pas encore entendu parler de réseaux communautaires, malgré les efforts fournis par l’ISOC, APC et tous les activistes autour de ce type de réseau. Toutefois, il ne faut pas seulement avoir l’information mais if faut surtout penser le réseau. Bien que le réseau soit communautaire, il est bien souvent initié par une personne ou un groupe de personnes qui porte la vision et la partage avec la communauté. Le manque de vision et de champion locaux pour le réseau communautaire reste un important handicap. Un autre obstacle non négligeable est le manque d’accompagnement. Bien que les technologies soient de plus en plus simples à déployer, le réseau communautaire est n’a pas seulement un aspect technique et nécessite des modèles de gestion particuliers et la disponibilité des équipements sur le marché local afin d’assurer sa pérennité. Au-delà de tous ces obstacles, l’un des plus cruciaux reste le cadre règlementaire qui ne prend pas encore compte de type de réseau dans de nombreux pays, particulièrement en Afrique francophone. Il y a donc nécessité de se pencher sur cette question afin de définir un cadre favorable au développement de pareils réseaux. Mais avant de faire des propositions, il est important de passer en revue les cadres règlementaires en vigueur.